Programme sur la "mécompréhension productive" labellisé par l'Agence Universitaire de la Francophonie 2021-2022

Descriptif des ateliers

Atelier 1 : « Insinuations – lieux et stratégies de la parole dominée. Autour de la controverse Foucault/Derrida sur Cogito et folie et de ses reprises »

 

Responsables de l’atelier :

Momchil HRISTOV, Université de Sofia, Bulgarie,

Orgest AZIZAJ,  Académie du Film et du Multimédia Marubi (AFMM), Tirana, Albanie

Descriptif :

Dans une brillante conférence autour du concept d’orientalisme (E. Said) et de son importance pour l’histoire de la philosophie, tenue très récemment à l’Institut du Monde Arabe de Paris (en janvier 2022, l’année même du 60ème anniversaire de l’indépendance algérienne), Marwan Rashed, en reprenant l’exposé des enjeux de la controverse entre Foucault et Derrida à propos de l’interprétation d’un passage des Méditations de Descartes dans l’Histoire de la folie, a montré encore une fois l’extrême actualité de cette scène agonistique vieille de soixante ans, justement.

Inaugurée en 1963 par une conférence de Jacques Derrida, dans laquelle, tout en disant son admiration pour l’entreprise foucaldienne, dont il a saisi le sens mieux que quiconque, il en décortique (en présence de l’intéressé) les impasses et les erreurs d’interprétation, relancée et radicalisée par une « réponse » violente de Michel Foucault en 1972, et poursuivie depuis par nombre de commentateurs qui se sont invités au débat (Beyssade, Alquié, Ginzburg, Macherey…), la « controverse » en question est un peu la scène inaugurale de ce qui deviendra bientôt la « French theory ». Elle parcourt en souterrain non seulement l’œuvre entière des deux auteurs, mais sert de réserve herméneutique à une multiplicité de démarches théoriques et pratiques (écriture et épistémologie de l’histoire, histoire et critique littéraire, analyse institutionnelle, études post-coloniales…).

Nous nous proposons dans le cours de cet atelier de parcourir quelques-uns des points forts de l’articulation de ce mille-feuille théorique, ou l’esprit d’analyse et la finesse intuitive le disputent à la sagacité théorique, et de dégager les enjeux essentiels de ses reprises et prolongations.

Bibliographie indicative :

Michel Foucault, « Préface à l’Histoire de la folie » (1961), repris in Dits et Ecrits I, Gallimard 1994.

Michel Foucault, « La folie, absence d’œuvre » (1964), ibid

Michel Foucault (dir), « Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… », Gallimard, 1972

Michel Foucault, « Mon corps, ce papier, ce feu… » (1972), repris in Dits et Ecrits I.

J. Derrida, « Cogito et Histoire de la folie » (1963), repris in L’Ecriture et la différence, Seuil, 1969.

J-M Beyssade, « Mais quoi ce sont des fous », publié en 1973 dans la Revue de

métaphysique et de morale, repris dans Descartes au fil de l’ordre, Paris, PUF, 2001, p. 13-38.

F. Alquié, « Le philosophe et le fou », in Jean-Robert Armogathe et Giulia Belgioso (éd.), Descartes metaphysico, Florence, Instituto della Enciclopedia italiana, 1993, p. 107 – 116

P. Macherey, « Querelles cartésiennes (2) : le débat Foucault-Derrida autour de l’argument de la folie et du rêve », texte en ligne : https://philolarge.hypotheses.org/files/2017/09/13-11-2002.pdf

Sebastien Buckinx, Descartes entre Foucault et Derrida. La folie dans la première méditation, l’Harmattan, 2008

G. Ch. Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, éd. Amsterdam, 2022

La conférence de Marwan Rashed, « Le problème de l’Orientalisme », peut être regardée sur le lien suivant :

https://www.facebook.com/events/581318696269898

 

Atelier 2 : « Diversité, désaccord et démocratie »

 

Responsables de l’atelier :

François BOUCHER, KU Leuven, Belgique

 

Descriptif :

Cet atelier propose d’examiner dans quelle mesure le désaccord et la diversité, des conceptions du bien et du juste et des identités, contribuent à la viabilité et à l’épanouissement de la démocratie.

Les sociétés démocratiques modernes sont profondément pluralistes. Elles comprennent à la fois des individus qui ne s’accordent ni sur ce qu’est la vie bonne ni sur ce qu’est une société juste et des individus qui demandent la reconnaissance d’identités sociales distinctes basées sur le genre, le sexe, la religion, la nationalité, l’ethnicité, le neurotype ou encore l’orientation sexuelle. Les sources de mécompréhension abondent dans ces sociétés. Cette hétérogénéité est-elle une limite, un obstacle à dépasser afin d’assurer le bien commun ? Ou bien peut-elle au contraire être un moteur de la démocratie libérale ?

Nous entamerons les discussions en nous tournant vers Libéralisme politique, un ouvrage phare dans lequel John Rawls propose une théorie fort influente de la démocratie qui, bien qu’elle voie le désaccord comme un aspect normal et inévitable des sociétés démocratiques modernes, considère le désaccord comme un obstacle à surmonter et affirme la nécessité d’un socle de raisons publiques communes ancrées dans une conception politique partagée de la justice. À partir de ce point de départ, nous verrons comment plusieurs autres philosophes ont accordé une place bien importante au rôle civique et transformateur du désaccord et de la diversité.

Dans un premier temps, nous discuterons des théories épistémiques de la démocratie, des penseurs classiques comme Mill jusqu’au théories contemporaines comme celle de David Estlund, qui affirment que la prise en compte de points de vue discordants améliore la qualité de la prise de décision démocratique et nourrit les conditions dans lesquelles la liberté individuelle peut prendre son essor. Nous nous tournerons ensuite vers les théories agoniques de la démocratie, illustrées par les travaux de Chantal Mouffe, qui rejettent le modèle Rawlsien fondé sur le partage de raisons communes et mettent de l’avant le rôle bénéfique de la lutte politique.

Nous discuterons également des défis et de la valeur de l’inclusion de modes de communication marginalisés et mécompris dans la délibération démocratique en examinant les travaux d’Iris Marion Young sur la politique de la différence. Nous approfondirons cette réflexion sur l’apport de la diversité des identités sociales à la démocratie en nous tournant vers les théoriciens de la politique de la reconnaissance tels que Charles Taylor et James Tully. Enfin, nous nous questionnerons sur l’idée que les individus ont accès à certaines perspectives épistémiques uniquement accessible à ceux qui occupent certaines positions sociales en étudiant l’idée de double conscience chez W.E.B. Dubois et nous discuterons des processus de politiques visant à étouffer certaines perspectives minoritaires et marginales en tournant vers la notion d’oppression épistémique proposée par Kristie Dotson.

Bibliographie indicative :

Dotson, Kristie, « Conceptualiser l’oppression épistémique », Recherches féministes, 31/2, 2018, 9-34.

Dubois, W.E.B, Les Âmes du peuple noir, trad. M. Bessone, Paris : La Découverte.  

Estlund, David, L’autorité de la démocratie. Une perspective philosophique, Paris : Hermann, 2011.

Mill, John Stuart, De la Liberté, Pris : Folio, 1990.

Mouffe, Chantal, Le Paradoxe démocratique, ENSBA, 2018.

Rawls, John, Libéralisme politique, trad. C. Audard, Pari : PUF, 1997.

Taylor, Charles, Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris : Aubier, 1994.

Tully, James, Une étrange multiplicité. Le constitutionalisme à une époque de diversité, Québec : Presses Universitaires de L’université Laval, 2000.  

Young, Iris Marion, « Communication et altérité. Au-delà de la démocratie délibérative », dans Charles Girard et Alice Le Goff (dir.), La démocratie délibérative. Anthologie de textes fondamentaux, 2010.

Atelier 3 : « Détournements sémantiques. Démocratie et droits de l’homme en pandémie »

 

Responsables de l’atelier :

Diana MARGARIT, Université Alexandru Ioan Cuza de Iași, Roumanie

Ciprian JELER, Université Alexandru Ioan Cuza de Iași, Roumanie

 

Descriptif :

Le 28 septembre 1948, à la Sorbonne, Eleanor Roosevelt tient un discours, appelé plus tard « Les luttes pour les droits de l’homme ». « On ne doit pas – affirme-t-elle – se laisser tromper par les efforts des forces réactionnaires pour pervertir les grands mots de notre tradition libre et par conséquent, pour perturber notre lutte. La démocratie, la liberté, les droits de l’homme ont fini par avoir une signification définitive pour les gens de ce monde, signification qu’on ne doit permettre à aucune nation de changer de sorte qu’elle devienne synonyme de la suppression et de la dictature ».

Ce fragment mérite notre attention car il propose une réflexion d’une frappante actualité. Tout d’abord, depuis la Révolution française et jusqu’à nos jours, respecter les droits de l’homme a présupposé une confrontation permanente avec l’autoritarisme et toutes formes de dictature ou avec la menace de l’arbitraire et de l’abus. De plus, selon Roosevelt, le langage des droits de l’homme, approprié à la Déclaration Universelle du Droit de l’Homme, ne peut être utilisé que dans les régimes démocratiques, autrement dit que dans les régimes politiques qui permettent à la liberté de se manifester – une liberté qui se réclame du libéralisme classique.

Cependant, l’histoire des idéologies politiques témoigne de la diversité des significations du mot « liberté », dont certaines s’opposent les unes aux autres. Du socialisme soviétique au national-socialisme, la liberté a été réinventée et adaptée à des récits très différents, qui ont pu être les instruments de luttes révolutionnaires ou de politiques réactionnaires. Ce que la Déclaration ci-dessus mentionnée prétend, c’est récupérer la signification libérale de la liberté, la seule authentiquement démocratique et anti-dictatoriale, tout en l’encapsulant dans la doctrine des droits de l’homme. Cet effort de récupération sémantique de la liberté et des droits de l’homme, en général, suggère Roosevelt, est un processus infini compte-tenu de la capacité des forces réactionnaires à se réinventer et à réagir. Le péril de la dictature n’est jamais tout à fait écarté, et la victoire de la liberté jamais tout à fait atteinte.

Plus récemment, le succès des partis politiques populistes et/ou nationalistes, aussi bien que les crises économiques et le manque de légitimité des partis mainstream ont intensifié la vulnérabilité et la perméabilité de l’opinion publique face aux discours anti-démocratiques (Rupnik et Lalo 2017). De plus, la pandémie du Covid-19 a montré que les sociétés ont mal accueilli les restrictions imposées par les gouvernements, partout dans le monde. Selon le récent rapport rédigé par le secrétaire-général du Conseil de l’Europe (2021), les effets des crises sanitaires, politiques et économiques engendrées par la gestion de la pandémie ont accentué la fragilisation de la démocratie et des droits de l’homme. La limitation de la liberté d’association, la censure, les restrictions à la mobilité, la prolifération du discours de haine sur internet, les « idées fausses » autour du terme de genre et de la protection des femmes contre les violences domestiques et la désinformation, etc., ont largement contribué à l’érosion de la démocratie.

Ce qui frappe dans les débats actuels autour de la pandémie, c’est l’usage du vocabulaire anti-autoritaire et des droits de l’homme, dans des contextes très divers, par tous les acteurs impliqués. Tant ceux qui soutiennent les restrictions que ceux qui les rejettent en les considérant comme les instruments d’une « dictature sanitaire », assument la lutte contre les abus politiques et la protection des droits de l’homme comme fondements discursifs (Delanty 2020). D’une part, l’utilisation des techniques de surveillance, l’usage abusif de l’état d’urgence, la répression des opposants, l’application arbitraire des mesures restrictives sont invoqués par certains gouvernements comme sacrifice nécessaire des libertés individuelles au nom de la santé publique, du bien collectif et de la volonté générale. D’autre part, des groupes d’opposition, qui peuvent être populistes, utilisent une interprétation libertarienne des droits, elle aussi abusive dans certaines situations, pour condamner l’ingérence étatique durant la pandémie.

Cet atelier vise à problématiser la volatilité de la sémantique autour de la démocratie et des droits de l’homme générée par les débats pandémiques. Ainsi, pendant les séances de l’atelier, on propose de questionner les différentes stratégies argumentatives et les instruments d’action qui mènent au détournement du vocabulaire anti-autoritaire. La bibliographie indiquée constitue le point de départ de ces problématiques, mais le noyau dur de cet atelier consistera dans des études de cas qu’on analysera à partir des intérêts et des options des participants. L’utilisation des discours, documentaires, extraits des médias sociaux, affiches, photos etc. pour illustrer des situations particulières sera encouragée.

 

Bibliographie indicative :

Rupnik, Jacques, Lalo, Alexandra. 2017. La démocratie illibérale en Europe centrale. Esprit 435 : 69-85.

Delanty, G. 2020. Six political philosophies in search of a virus : Critical perspectives on the coronavirus pandemic. LEQS Paper 156. https://www.lse.ac.uk/european-institute/Assets/Documents/LEQS-Discussion-Papers/LEQSPaper156.pdf.

Secrétaire-général du Conseil de l’Europe. 2021. Situation de la démocratie, des droits de l’homme et de l’État de droit – Un renouveau démocratique pour l’Europe. https://rm.coe.int/rapport-annuel-sg-2021/1680a264a3.

 

Atelier 4 : «La philosophie, surabondance ou absence de sens »

 

Responsables de l’atelier :

Hortense DE VILLAINE, Collège Universitaire Français de Saint-Pétersbourg, Russie

Michel BAUDOUIN, Lycée Suger, France

 

Descriptif :

S'ils professent un certain goût pour les choses de l'esprit, de nombreux profanes expriment presque mécaniquement une certaine admiration face à la profondeur insondable de la philosophie. Cette admiration est ambiguë. Il arrive que de la déception teintée de mépris lui succède. Pourquoi tant de philosophes s'expriment-ils de façon aussi incompréhensible ? La philosophie n'est-elle pas censée répondre de façon accessible aux grandes questions universelles portant sur la vie, l'univers et le reste ? Alors pourquoi donne-t-elle l'impression de compter combien d'anges peuvent tenir sur une tête d'épingle quand on voudrait savoir quel sens donner à l'existence ? Ces griefs pourraient être écartés avec le dédain du spécialiste confronté aux incompréhensions profanes s'il n'existait pas toute une tradition philosophique et satirique de dénonciation des non-sens philosophiques, allant à rebours de la déférence rituelle requise par les grands textes. Ainsi, pour Rudolf Carnap, membre du Cercle de Vienne, les métaphysiciens sont des musiciens ratés qui ne peuvent qu'échouer à exprimer leurs sentiments à travers des systèmes dépourvus de signification. Issu de la même tradition, le philosophe australien David Stove soutient que les erreurs en philosophie sont liées à des « défauts de caractère : des choses comme la simple incapacité à se taire, la volonté d'être considéré comme profond, la soif de pouvoir, la peur, en particulier la peur d'un univers indifférent. Ces choses-là font partie des sources émotionnelles évidentes de la mauvaise philosophie.[1]» Mais ces défauts sont peut-être aussi liés à ce que beaucoup attendent de la philosophie elle-même : une profondeur, une élévation, une opacité qui seraient les indices d'un sens d'autant plus fort et existentiel qu'il est difficile à déchiffrer.

 

Au début de La Demande philosophique, le philosophe français Jacques Bouveresse (1940-2021) aborde le problème de ce hiatus entre ce que l'on demande à la philosophie et ce que celle-ci peut réellement offrir. Si on accepte de se payer de mots, la demande, émanant autant d'un public et d'une presse avides de nouveauté, est facile à satisfaire. Mais Bouveresse déplore la transformation spectaculaire de l'offre philosophique entraînée par cette demande. Car l'histoire de la philosophie apparaît alors, tant dans les grands médias que dans des œuvres philosophiques, comme une histoire jalonnée d'exploits conceptuels inouïs, réalisés périodiquement par des penseurs surhumains. Et c'est ainsi qu'il y a quelques décennies maintenant des philosophes français se sont livrés à une surenchère de proclamations séduisantes et définitives dont les échos se font encore sentir. Tous les deux ou trois ans, l'Homme a été enterré, l'Onto-théologie occidentale trucidée, la Vérité abolie en même temps que d'autres concepts secondaires tels que la Signification, la Réalité, l'Objectivité, la Justice, la Morale ou le Sujet. Qu'on le déplore ou qu'on s'en réjouisse, toutes ces notions « dépassées » se sont toutefois vite révélées comparables à ce canard de bain en plastique insubmersible qui malgré tous nos efforts finit par remonter à la surface. Il fut alors temps d'annoncer avec fracas le « retour » de telle ou telle notion naguère méprisée.

 

On ne peut toutefois pas en rester à la moquerie. La dénonciation du non sens supposé de telle ou telle tradition philosophique est une arme à double tranchant, dont peuvent s'emparer aussi bien des philosophes honnêtes soucieux de chercher la vérité que des lecteurs paresseux ou des forces hostiles à toute philosophie qui ne consacre pas l'ordre établi. C'est pourquoi Bouveresse renvoie dos-à-dos deux conceptions trompeuses de la philosophie. L'une, aveuglée par les prestiges de la « pensée essentielle », refuse de voir les non-sens présents dans les débats philosophiques, tandis que l'autre réduit la philosophie à du verbiage, à un bavardage abstrait dépourvu de sens tout juste bon à éblouir les ignorants. « Il faut être prêt à admettre réellement et concrètement (...) que la philosophie est capable de produire de la fausseté, de l'illusion et du non-sens et que c'est même une chose qu'elle fait assez régulièrement. Cela n'oblige pas, bien entendu, à supposer, comme on l'a fait parfois, qu'elle ne produit que cela.[2]» 

 

Afin de réaliser les deux parties de ce programme, il est d'abord nécessaire d'avoir une conception robuste et précise du sens. Une partie importante de la philosophie de Bouveresse est consacrée à la question du langage et de la signification : quelles sont les conditions logiques et conceptuelles du sens et du non-sens ? Peut-on être certain que tel ou tel énoncé ne dit vraiment rien ? Ce sera le point de départ de notre travail avec les étudiant.e.s. Nous ne pourrons pas dans ce cadre ignorer le rapport du langage avec la réalité. Si la possibilité même d'un réalisme est en effet au cœur de la pensée de Bouveresse, elle est aussi et surtout en lien avec la question du sens, tout particulièrement si la philosophie ne renonce pas à savoir de quoi elle parle exactement. Musil, souvent cité par Bouveresse qui partageait avec lui son peu de goût pour l'idéalisme en philosophie écrivait : « il y a des gens qui nient les faits et appellent cela penser ». Sur cette base, nous pourrons suivre Bouveresse qui, inspiré par d'autres auteurs tels que Lichtenberg, Valery ou Wittgenstein, a pu aussi écrire des « nosographies philosophiques » décrivant les maladies de l'entendement philosophique et les mécompréhensions produites par ces maladies.

 

Le but de cet atelier sera de soulever des questions sur l'interprétation, la lecture, l'expression et la mécompréhension de textes philosophiques issus d'époques et de traditions variées à partir du point de vue fourni par l'œuvre de Jacques Bouveresse (sans forcément s'y réduire) et de considérer son travail comme un terrain fertile à la discussion et au débat d'idée. Dans ce cadre, les étudiant.e.s recevront en amont chacun.e un texte ou une citation à analyser et à présenter aux autres participant.e.s. Leur travail préalable consistera à établir une synthèse critique du texte et/ou la discussion du sens concret que peuvent revêtir certaines expressions issues de textes philosophiques. Le directeur et la directrice de l'atelier proposeront une séance introductive de présentation des auteurs et des problématiques. Ils resteront à la disposition des étudiant.e.s pour animer le débat ou pour fournir des textes et des informations complémentaires susceptibles de les aider dans leurs réflexions. Il ne s'agira donc pas d'un atelier entièrement dédié à la lecture des textes de Bouveresse. Notre objectif sera de nous interroger sur nos propres pratiques philosophiques à partir d'un questionnement sur la notion de sens en philosophie, et d'une discussion autour d'exemples concrets d'usage du langage et de ses ressources dans l'histoire de la philosophie.

 

Bibliographie indicative :

    Bouveresse, Jacques. La demande philosophique. Que veut la philosophie et que peut-on vouloir d'elle ? Paris : Éditions de l'éclat, 1996. 

    Bouveresse, Jacques. Dire et ne rien dire. L'illogisme, l'impossibilité et le non sens, Nîmes : Éditions Jacqueline Chambon, 1997

    Bouveresse, Jacques. Prodiges et vertiges de l'analogie, Paris : Raisons d'agir, 1999. 

    Brentano, « Sur l'avenir de la philosophie », traduction D. Seron, dans F. Brentano, Essais et conférences, Paris : Vrin, 2017.

    Hacker, P. M. S. Appearance and Reality, A Philosophical Investigation into Perception and Perceptual Qualities, B. Blackwell, Oxford, 1987.

    Leibniz, Discours de métaphysique, Paris : Gallimard, 2004. 

    Merleau-Ponty, Maurice. Éloge de la philosophie, Paris : Gallimard, 1953. 

    Stove, David. The Plato Cult and other Philosophical Follies, Basil Blackwell, 1991. 

 

Atelier 5 : « Se méprendre sur les actes d'autrui : mensonge, mécompréhension, moralisme »

 

Responsables de l’atelier :

Nenad IVIC, Université de Zagreb, Croatie

Maja VUKUSIC, Université de Zagreb, Croatie

 

Descriptif :

« Le rapport du mis- (mis-understanding, mis-interpreting, par exemple) à ce qui n'est pas « mis-», n'est pas du tout celui d'une loi générale à des cas, mais celui d'une possibilité générale inscrite dans la structure de la positivité, de la normalité, du « standard. » »  (Jacques Derrida, Limited Inc., Galilée, Paris, 1990)

L'atelier propose d'explorer la mécompréhension comme possibilité générale inscrite dans la description/évaluation des actes des hommes, comme source productive de compréhension rationnelle qui aboutit à une certaine morale, à travers les textes de Montaigne, La Bruyère, Chamfort, Malraux et Edouard Louis, en tenant compte des méprises de la mimèsis des actes (de la fictionnalisation, getting the story crooked, qui, elle-aussi, est inscrite comme possibilité dans la structure du discours vrai/réaliste).  L'enquête, menée par l'interprétation des textes choisis, tiendra compte simultanément des conditions historiques, textuelles et littéraires (les morales et les moralismes contre la morale et le moralisme) et de la problématique générale.

 

Bibliographie indicative : 

Chamfort, Maximes et pensées, Gallimard, coll. Folio, Paris, 1982 (extraits).

Goffman, Erving, Les cadres de l'expérience, Minuit, Paris, 1991.

La Bruyère, Jean de, Caractères ou les mœurs de ce siècle, Gallimard, coll. Folio, Paris, 1976 (extraits).

Lèbre, Jerôme,  Les caractères impossibles, Bayard, Monrouge, 2014.

Louis, Edouard, Changer: méthode, Seuil, Paris, 2021 (extraits).

Malraux, André, La Condition humaine, Gallimard, coll. Folio, Paris, 1972 (extraits).

Merleau-Ponty, Maurice, La structure du comportement, PUF, Paris, 1990.

Montaigne, Michel de, Essais, Gallimard, coll. Folio, Paris, 2009, (extraits).

Passeron, Jean-Claude, Le raisonnement sociologique, Albin Michel, Paris, 2006.

 

Atelier 6 : « De la critique du productivisme jusqu’en littérature : sens de la production et production de sens. Lecture de La catacombe de Molussie de Günther Anders »

 

Responsables de l’atelier :

Clément LION, UMR 8163 STL, Lille, France

Guillaume DE VAULX, Dominican Institute for Oriental Studies, Liban

 

Descriptif :

La catacombe de Molussie, roman d’anticipation Günther Anders écrit dans les années 30, n’a été publié en allemand qu’en 1990, et traduit en français seulement fin 2021. Pourtant, c’était là le premier ouvrage du philosophe qui s’y référera constamment. Rédigée principalement entre 1930 et 1938, La catacombe de Molussie met en scène un État fasciste au pouvoir depuis 300 ans, plus précisément ses geôles où, de génération en génération, des couples de prisonniers se perpétuent l’art de la résistance à travers la transmission et la création de fables. Si ces dernières forment des paraboles du système productif et politique, elles émergent du dialogue des deux détenus, dialogue qui est l’occasion d’une refonte du rapport à la vérité et au sens. En cela, le dialogue thématise tant l’idée d’une mécompréhension productive, ce par quoi nous entendons une mécompréhension inhérente à la logique et à l’idéologie productive – que d’une fabulation du récit comprise comme opération de libération et de politisation du récit hors de toute assignation ou enrégimentement productif.

L’atelier se propose de dégager des axes de lecture de cet ouvrage encore vierge de toute interprétation, qui viseront à le replacer dans son contexte et sa portée philosophiques et littéraires. Parmi eux :

  1. L’anthropologie littéraire et philosophique de G. Anders : la condition des prisonniers, hommes privés de monde, est l’occasion d’une anthropologie des ‘parias’ qui, en réaction à l’existentialisme heideggerien, s’inscrit dans une tradition engagée par Dostoïevski et Alfred Düblin, qu’Anders reconnaîtra ensuite chez Samuel Beckett et Charles Chaplin.
  2. L’art politique de la fable : « L’art n’est pas libre, il agit ». Tel est le slogan d’Alfred Döblin que G. Anders reprend à son compte dans une écriture à la fois fabuleuse et dialogique qui se pense comme praxis en résistant au mode de prédication (dans les deux sens du mot) caractéristique d’abord de la propagande puis des technologies de l’information.
  3. L’analyse du système de production matérielle et spirituelle : un ordre productif engendre de lui-même sa propre mythologie. Dans La catacombe, l’analyse du système économique est donc toujours en même temps celle de sa production philosophique. Il conviendra ainsi de comprendre la production propre à ce qu’Anders appellera dans L’obsolescence de l’homme la « 3e révolution industrielle », comprise comme âge de la destructivité.

Les séances consisteront essentiellement dans un exercice dialogique d’interprétation d’extraits du roman et dans leur mise en perspective à partir d’autres textes. On envisagera également un atelier d’écriture de fables.

 

Bibliographie indicative :

Günther ANDERS, La Catacombe de Molussie (lecture préalable nécessaire).

–––––––––, « Pathologie de la liberté »

–––––––––, Der Blick von Turm

–––––––––, L’obsolescence de l’homme

Berthold BRECHT, Les histoires de M. Keuner

Hermann BROCH, Les somnambules

–––––––––, Esprit et esprit du temps

Fédor DOSTOÏEVSKI, Les carnets du sous-sol

Alfred DÖBLIN, Berlin Alexanderplatz

Martin HEIDEGGER, Être et temps

L. RAÏD, Le souterrain. Wittgenstein. Bakhtine. Dostoïevski

 

 

[1] Stove, David. The Plato Cult and other Philosophical Follies, Basil Blackwell, 1991, p. 188.

[2] Bouveresse, Jacques. La demande philosophique. Que veut la philosophie et que peut-on vouloir d'elle ? Paris : Éditions de l'éclat, 1996, p. 93.